| Rédactrice invitée : Joséphine Bacon

Rédactrice invitée : Joséphine Bacon

Rédactrice invitée : Joséphine Bacon

30 janvier 2019 - Actualités

Librairies, Libraires,

Je suis issue de la tradition orale. Il y a des mots que je n’ai connus qu’à l’âge adulte, dont les mots libraire et librairie. Ma vie a commencé avec l’Innu-Aimun, les livres n’existaient pas. Nos libraires et nos librairies étaient les aînés. Ils étaient nos livres d’histoires, de contes et de mythes. Puis un jour, le gouvernement a décidé de nous faire instruire. Il a fait bâtir les pensionnats indiens comme on le disait dans ces temps-là : c’est en l952 que je suis partie pour apprendre à lire et à écrire une langue autre que la mienne. Nous étions originaires de plusieurs communautés, nous étions d’âges différents, mais nous étions tous égaux dans l’apprentissage de cette nouvelle langue.

J’ai passé quatorze ans de ma vie dans ce pensionnat. Les étés, j’étais de retour dans ma communauté. Tandis que les Esprits de la terre nutshimit se reposaient, les aînés aussi se reposaient de nous raconter notre histoire. Je continuais à vivre ma langue maternelle en oubliant presque les mots français que j’avais appris. Je savais que lorsque je retournais au pensionnat, je devais revenir dans ma mémoire et me souvenir des mots appris de la langue française.

Quelques années ont passé, je connaissais de plus en plus de mots français, je savais même le parler un peu plus au besoin et lorsque c’était essentiel pour m’exprimer. Tous autant que nous étions, on avait appris à parler cette langue seconde tranquillement et tout doucement. La majeure partie du temps, c’était dans notre langue innue qu’on parlait, le Français était utilisé pour apprendre à lire, à écrire et à calculer aussi.

J’étais toujours au pensionnat quand j’ai dû continuer l’école dans la ville avoisinante parce qu’au pensionnat, il n’y avait pas de huitième année, les cours terminaient en septième année. On se débrouillait assez bien en Français. Nos mots étaient simples et on apprenait aussi de nouveaux mots. Notre vocabulaire s’élargissait, nous étions presque bilingues. On comprenait les mots antonymes, homonymes et synonymes.

Quand je suis partie du pensionnat, c’était pour aller étudier à Québec. Il y avait tant de mots que je ne connaissais pas encore et tous les jours j’entendais des mots nouveaux. J’ai passé tellement de temps à fouiller dans le dictionnaire pour en comprendre le sens et j’attendais le bon moment pour les utiliser. J’étais très fière de moi. Fière d’être capable de parler deux langues aussi différentes l’une de l’autre.

Aujourd’hui, j’habite la grande ville de Montréal. C’est ici que j’ai vraiment commencé à parler le Français et de moins en moins l’Innu-Aimun. Pour tout dire, c’est ici aussi que je me suis approprié l’Innu-Aimun des nomades. Je parle mieux ma langue et je parle mieux le français et j’écris même dans les deux langues.

À travers toutes ces années, j’ai appris que le papier provenait des arbres et qu’on en faisait des livres. Je me souviens qu’un jour mon père adoptif, Pien Mishtanapeu m’avait dit : « La prochaine fois que tu vas dans le bois, écoute, si tu écoutes bien, les arbres te parleront ». J’aime bien les parcs de la ville pour cette raison, ce n’est peut-être pas la forêt, mais il y a des arbres que j’aime écouter même s’ils ne m’ont pas encore parlé.

La première fois que je suis entrée dans une librairie, je me suis rappelé les paroles de mon père Pien. Il y avait tous ces livres sur les étagères qui provenaient des arbres et qui parlaient de tout, d’aventures, de poésies, de sciences et de tant d’autres choses. Il suffisait de les ouvrir pour entendre.

Joséphine Bacon

 

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// Crédit photo : Benoit Rochon //


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